Vingt langues en cinq pas ! Nostalgie alimentaire... Le Soudan au coeur de Paris

27/10/2023 - par Khaled Siraj - Culture

Ce court texte littéraire de Khaled Siraj, écrivain soudanais exilé à Paris, décrit le quartier de La Chapelle, où se retrouvent les Soudanais-e-s de la capitale, sous le prisme de la nostalgie.

A peine étais-je descendu à la station La Chapelle, sur la ligne 2 du métro parisien, que j'ai entendu : "Malboro Labelad .. Malboro Labelad". De jeunes vendeurs m’appelaient du nom des cigarettes de contrebande en provenance des pays du Maghreb, qu’ils vendaient dans la rue à prix réduit et détaxé. C’est le travail de nombreux jeunes hommes que l’on croise aussi dans la station de métro, en traversant la grande route en direction de "Porte de la Chapelle". J’ai continué jusqu’à rencontrer des dizaines de restaurants afghans : mes oreilles furent alors saturées des langues Pashto et Dari, mais également de tigrigna, amhringa, de tigréen et de somali. Ces langues principalement venues d’Afrique de l’Est prenaient place dans la symphonie linguistique cosmopolite de La Chapelle.

Puis, tout à coup, je les ai trouvés à l’angle, côté est, sur ma route vers la porte de la Chapelle. Ils étaient tant de locuteurs de dialectes soudanais et tchadiens que j’ai cru me retrouver dans les rues au milieu du marché arabe, le grand marché de Khartoum, où des dizaines de Soudanais travaillent dans des boutiques et vendent des produits du pays : parfums, jus, spécialités culinaires subsahariennes…

Nourritures, parfums, vêtements et souvenirs m’assaillaient, si bien que j’avais l’impression que ces immigrants les avaient emportés et ramenés avec eux du Soudan en traversant la Méditerranée.

Ils les ont tenus fermement face aux vagues déferlantes et aux brises froides des montagnes. Ils ont traversé toutes ces routes accidentées et dangereuses, mais ils n’ont pas abandonné ces denrées. Et maintenant qu’ils sont installés à Paris, en les achetant, ils cherchent à retrouver n'importe quel fil qui les relie aux souvenirs de leur jeunesse ou de leur enfance, volées par la guerre civile, la dictature et les difficultés économiques.

Ils ont quitté le Soudan à cause des conflits armés et de la pauvreté, mais personne ne peut leur ôter la nostalgie effusive d’autrefois. Ils se souviennent de leurs jeunes années, avant que les tambours de guerre ne frappent et brûlent les villages et que le bruit des avions Antonov n’assourdisse tous les chants de paix et d'amour. Ils achètent ces produits avec un grand bonheur, comme des enfants recevant des cadeaux de Noël ou de l'Aïd al-Adha. Cela se lit dans leurs sourires, qui n’ont pas été tués par la bureaucratie, l’angoisse des papiers et leur quotidien assombri par le capitalisme.

J’ai été témoin de toutes ces scènes en traversant la rue, et je me suis souvenu du couplet d’une chanson :

«Y'a un sac de plastique vert

Au bout de mon bras

Dans mon sac vert il y a de l'air

C'est déjà ça

Quand je danse en marchant

Dans ces djellabas

Ça fait sourire les passants

C'est déjà ça »

--------------

Par Khaled Siraj

Pour écouter la chanson d'Alain Souchon en entier : https://www.youtube.com/watch?v=ViFsEEKweSc

Khaled Siraj

Khaled est un écrivain soudanais en exil et chercheur indépendant en sciences sociales. Il est également un militant actif de la diaspora soudanaise à Paris. Il fait actuellement un master à l'EHESS.

Culture

23/03/2024,
par Lea Senna Equipe

Abdelwahab Latinos : guerre et exil, les abîmes de la désillusion

23/03/2024, par Lea Senna Equipe

Le 17 août 2020, un jeune poète soudanais, Abdelwahab Youssef, dit « Abdelwahab Latinos », mourait en mer Méditerranée, en tentant de joindre l’Europe, laissant derrière lui une cinquantaine de poèmes magnifiques. Nous traduisons ici des extraits inédits de deux de ses poèmes, intitulés "Sur la guerre", et "Voyage d'un récit exilé".

27/10/2023,
par Khaled Siraj

Vingt langues en cinq pas ! Nostalgie alimentaire... Le Soudan au coeur de Paris

27/10/2023, par Khaled Siraj

Ce court texte littéraire de Khaled Siraj, écrivain soudanais exilé à Paris, décrit le quartier de La Chapelle, où se retrouvent les Soudanais-e-s de la capitale, sous le prisme de la nostalgie.

31/03/2022,
par Equipe

Soudan : le rap et la révolution - interview avec Black Scorpion

31/03/2022, par Equipe

Au cours de la révolution, le rap s'est imposé comme un genre musical majeur au Soudan. Interview avec le jeune artiste révolutionnaire Mustafa Abdel Salam, également connu sous le nom de Black Scorpion, pour parler de la situation et du rôle du rap dans le Soudan d'aujourd'hui.

11/11/2021,
par Equipe

Ayman Mao | Le reggae pour la révolution

11/11/2021, par Equipe

« Eh, ils t'ont acheté combien, pour faire couler le sang ? ». Aujourd'hui, une chanson de Ayman Mao, musicien et lyriciste de la révolution soudanaise. Un message adressé au général Al-Burhan, à l'armée et aux milices, et à tous ceux qui, avant eux, ont pris le pouvoir par le sang.

21/02/2021,
par Mona Basha

Une histoire de manuels scolaires

21/02/2021, par Mona Basha

Par Mona Basha | Pourquoi le recul du Premier Ministre sur la réforme des manuels et des contenus pédagogiques est un très mauvais signe pour la transition démocratique au Soudan.

22/01/2021,
par Lea Senna Hamad Gamal

Mohamed Wardi | Rends-nous les clés du pays

22/01/2021, par Lea Senna Hamad Gamal

Un peu de musique : aujourd'hui nous traduisons une chanson de Mohamed Wardi, un des plus grands chanteurs soudanais, qu'il écrivit en 1997 après le coup d'état d'Omar al-Bashir. Celle-ci a été redécouverte et reprise pendant la révolution de décembre 2018 qui a mené à sa chute, avec un message intemporel et universel : rends-nous les clés du pays.